Il jubile

Publié le par melvin

Je m'étais permis de le penser : l’Equipe de France n’allait pas en Allemagne à la Coupe du monde de football ; elle se rendait au jubilé mondial de son capitaine Zinédine Zidane. Mais alors, quel jubilé ! Dans une Coupe du monde qui n’a pas su ou pu utiliser à fond ses génies annoncés, Messi, Robinho, Rooney, Fabregas, …, le vétéran Zidane s’est chargé d’emballer la compétition et de lui apporter le football positif et le spectacle qui lui faisaient tant défaut. Samedi 1er juillet 2006, sous sa conduite, l’Equipe de France a brillamment repris sa marche en avant, et renvoyé à la maison les hyper favoris brésiliens, après leur avoir infligé une véritable leçon de football. Zidane, dans tous les bons coups, a su donner de ses jambes et de son cœur, pour que la France gagne. Il a convoyé nombre de bons ballons et offert celui du but de la victoire à Thierry Henry, en même temps que la fameuse passe décisive si longtemps quémandée.

 

Cette chaude nuit francfortoise était décidément la sienne. Il a su l’illuminer de ses improvisations si personnelles, et éclipser les étoiles d’en face, qui ont du coup, paru bien ternes. La cheville toujours aussi souple et les idées résolument claires, Zizou a caressé le ballon sous toutes ses formes, de la semelle comme du cou-de-pied, de l’intérieur ou de l’extérieur, de la pointe et du talon, martyrisant au passage le résistant Cafu. Le Brésilien, ce samedi, c’était lui, et pas Ronaldinho qui avait oublié, ses passes aveugles aux vestiaires, et surtout pas ses coéquipiers du Real Madrid, Ronaldo et Roberto Carlos, alourdi ou essoufflé par le rythme de ce match fou fou foot.

 

A  lire la joie dans le regard du jeune Robinho, vaincu d’un soir, mais tout heureux de poser à côté du géant, on peut comprendre ce que Zinédine Zidane a représenté pour le football actuel. Il était un phare. Comment, dès lors, ne pas applaudir l’initiative du quotidien espagnol Marca  qui offre une récompense à celui qui saura convaincre Zinédine Zidane de ne pas raccrocher ses godasses à la fin de ce Mondial allemand ? Le monde du football a du mal à se faire à l’idée que, passée cette première semaine de juillet 2006, le phare va s’éteindre. Zizou ne jouera plus de match officiel, ce sera sa dernière compétition, son jubilé. A 34 ans et plus tous ses cheveux, il va définitivement prendre sa retraite. Ah ! si seulement Roger Milla pouvait lui prêter une de ses sept vies !

 

Zinédine Zidane se retire, mais le monde du football ne l’oubliera pas, parce que l’impression qu’il laisse est ineffaçable. En mouvement sur l’aire de jeu, en photo, et même en pub, Zidane offrait au football quelque chose d’unique, qui tenait à la fois du sport et du spectacle, du rêve et de l’exploit. Cette Coupe du monde achève de le confirmer, il aura été le plus grand joueur de sa génération, et sans doute aussi, l’un des plus grands champions de l’histoire du football. Un géant, un monument.

 

A la veille de la Coupe du monde 98, j'avais lu un bel article commis dans L’Equipe Magazine par  Johan Cruyff, dans lequel il commentait les supputations des critiques sportifs argentins sur les joueurs ayant marqué l’histoire du football. L’idée était que les époques aussi bien que les joueurs étant difficilement comparables, le meilleur footballeur de tous les temps n’existe pas ; que des joueurs se sont clairement distingués à chaque décennie. Les années 50 avaient été celles de Di Stefano, les années 60 celles de Pelé, les années 70 celles de Cruyff et les années 80 celles de Maradona. Et Cruyff concluait que les années 90 resteraient sans roi. Et pour cause, expliquait le triple Ballon d’Or France Football, le football est devenu un véritable commerce et le jeu a cessé d’être quelque chose de naturel. Désormais, les enfants encore très petits, entrent dans un système où il leur est très difficile de développer tout leur talent. Selon Johan Cruyff, « le football est quelque chose qu’on apprend dans la rue, qu’on vit dans la rue et qu’on améliore dans la rue ». Or, « on ne joue plus dans les rues depuis des années et les enfants, dès l’âge de six ou sept ans, commencent à fréquenter des écoles de football où l’on tue peu à peu en eux tout sens de l’improvisation. Très tôt on leur inculque qu’il faut jouer pour l’équipe et ils se retrouvent presque tous pareils. A tel point que, quand un garçon de quinze ou seize ans fait quelque chose qui sort un peu de l’ordinaire, tout le monde commence à parler d’un joueur ‘’atypique’’ alors qu’en réalité ce n’est pas le cas. »

 

Zinédine Zidane n’a-t-il pas échappé à cette morosité ? Je pense qu'il était bien atypique. S’il n’a pas traversé une décennie entière, de son immense talent, il a marqué la seconde moitié des années 90 et la première des années 2000. Zizou n’était pas seulement un footballeur, mais une sorte de chorégraphe, un véritable danseur, un artiste qui, du ballon,  savait faire avec ses pieds, ce que d’autres parviendraient à peine à faire avec leurs mains. Johan Cruyff, encore lui, écrivait qu’ « un joueur hors série est celui qui fait des choses que la majorité est incapable de faire. Il peut s’agir de sa rapidité, de son tir, de sa vision de jeu, de son jeu de tête ou de son dribble, mais tous ces ingrédients ne font de personne le meilleur. Pour être le meilleur, il faut avoir presque toutes ces qualités, physiques et techniques, mais aussi beaucoup d’autres éléments. Il faut être un gagneur et il faut être décisif dans les victoires de son équipe, il faut être un leader sur le terrain et en dehors, il faut gagner le respect de tous, compagnons et adversaires. Au fond, tout le monde s’attend que chaque fois que le meilleur a le ballon entre les pieds, il invente quelque chose que les autres n’auraient même pas l’idée d’essayer. Mais il faut aussi qu’il joue quand il n’a pas le ballon. » Zinédine Zidane était tout cela à la fois. A la fin de France - Brésil de samedi dernier, le roi Pelé en personne a dit de lui qu’il est un « magicien ».  Et encore, Diego Maradona estimait que Zidane jouait petit bras et n’utilisait que 60% de son potentiel. Que n’aurions-nous alors vu s’il s’était donné à fond en exploitant seulement 90% de ses moyens ?!

 

Publié dans Libres propos

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M
Zidane, meilleur joueur de foot français de tous les temps ? C'est vite dit. Sur le site rankopedia.com, c'est Platini qui arrive en tête. Zizou n'est que deuxième.
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J
Que de superlatifs! On dirait un psaume d'une âme assoiffée à son Sauveur...
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